
LE CHANT DES VESTIGES : une exposition de terre et de tissage comme un plongeon dans les profondeurs abyssales de la Méditerranée
« Ici, au fond, où demeure ce qui résiste quand ça doit disparaître. Ici où les couleurs s’assombrissent quand le regard descend, pas de discours éclatant, pas de voix tonitruantes, seulement le tamisé, le presqu’arrêté, le murmuré. »
C’est dans une ambiance silencieuse de matières et de textures, d’oxydation, de bruits blancs et de mémoire que nous convient Manon Garcia del Barrio, artiste textile, et La Fille de Tipaza, artiste céramiste. Partageant un univers d’inspiration commun, la Méditerranée, les deux artistes nous proposent une immersion vers des temps engloutis dont chacun peut à sa guise approcher, explorer du regard et ramener au jour des traces : fragments de poteries, carnets antiques, trésors du large, silhouettes délicates ou forme majestueuse recouverte de mousse.
Accompagnées par les mots de la poétesse Isabelle Alentour, les œuvres de terre et de tissage prennent progressivement corps et parole, nous invitant à faire l’expérience du vivant là où tout était censé succomber : « Nous avons encore quelques beaux étés à vivre ».
Rencontre avec ces deux artistes marseillaises à l’aube de leur exposition chez Archik durant tout l’été.


Quel est le thème central de cette exposition ?
Delphine : “Le chant des vestiges” est une plongée dans les profondeurs abyssales de la Méditerranée, à la recherche d’âmes et d’objets des temps anciens.
Manon : L’exposition, intitulée Le Chant des Vestiges, évoque le passage du temps sur des objets oubliés, ici des vestiges engloutis dans les fonds marins. Ces œuvres, inspirées par notre lien à la Méditerranée, témoignent d’un passé tout en entrant en dialogue avec le présent.
Comment décririez-vous l’exposition en quelques mots ?
Delphine : C’est l’histoire de la rencontre entre la matière, l’eau et le temps dans une profonde intimité. De cette union fragile et silencieuse, sont remontées à la surface, souvenirs, fragments et autres objets vêtus de mousse et d’algues.
Manon : Une plongée dans les grands fonds, où l’eau devient sombre et mystérieuse, avant de remonter vers une surface plus lumineuse. Comme des archéologues, nous révélons d’anciens souvenirs pour les sublimer.
Quels matériaux avez-vous choisis pour vos œuvres et pourquoi ?
Delphine : J’ai opté pour le grès chamotté, une terre solide, au toucher sablé qui permet un travail fin et délicat.
La chamotte du grès, plus ou moins fine, donne un effet texturé et granuleux évoquant les stigmates marins.
Manon : Mon travail repose sur le tissage, un savoir-faire ancestral. J’ai choisi le lin, le chanvre et la laine, matières millénaires, et le cuivre, dont la brillance contraste avec son oxydation, marquant le passage du temps.
Y a-t-il une pièce qui vous tient particulièrement à cœur ?
Delphine : Notre œuvre commune avec Manon -Vigie, de la nuit des temps – fruit d’un long travail et symbole du lien que nous souhaitions exprimer entre terre et tissage. Et j’ai une affection particulière pour mes œuvres personnelles – Spectateurs du chant des vestiges – dont les formes élancées laissent imaginer qu’une âme se cache derrière chacune d’entre elles.
Manon : La Vigie, un totem de 1m50 conçu avec Delphine, est une œuvre clé. Elle est née de notre désir de créer ensemble et nous a demandé près d’un an de travail !


Comment vos œuvres interagissent-elles entre elles ?
Delphine : Le point de départ de notre processus créatif, créer une œuvre sculpturale liant nos deux médiums respectifs. Puis, nous avons gardé une conversation permanente entre terre et tissage pour nos œuvres personnelles en les unissant par les mots d’Isabelle Alentour, poétesse de l’intime.
Manon : Associer nos matériaux – la terre dure et opaque avec le textile souple et translucide – a été un défi passionnant. Nous avons trouvé des techniques permettant un dialogue entre ces matières, et la poétesse Isabelle Alentour est venue enrichir cette alchimie par ses mots, tissant un lien entre nos œuvres.
Le lieu de l’exposition influence-t-il votre processus créatif ?
Delphine : Oui, le lieu influence mon processus créatif de part les atouts et contraintes dont il dispose. C’est une composante essentielle du projet qui demande un travail très intéressant d’adaptation. Il oriente la mise en scène et le récit de l’ensemble.
Manon : Le lieu influence forcément mon processus créatif. Il vient lui apporter des couleurs particulières; c’est-à-dire un écrin qui a sa propre ambiance avec des dimensions et une temporalité particulières. J’aime travailler avec ces contraintes parce que cela permet de me nourrir artistiquement. Le lieu et les personnes qui l’occupent influencent ma vision du projet.
La Méditerranée est-elle votre principale source d’inspiration ?
Delphine : La Méditerranée, reflet de mon rapport aux sens et aux éléments, tient une place centrale dans mon travail. Elle est la matrice de mon inspiration et de mon identité artistique, se traduisant dans mes formes organiques et un choix de textures de terre évoquant le sable et les vestiges marins.
Manon : Elle fait partie de mon quotidien et imprègne mon travail. Parfois, c’est dans les matériaux utilisés (comme des plantes invasives ou la laine des Alpilles), parfois dans des projets plus directs, comme la création de voiles de bateaux en lien avec le musée d’Histoire de Marseille.
Pensez-vous que Marseille est une ville propice à la créativité ? Qu’est-ce qui la rend unique ?
Delphine : Marseille, avec ses paysages sauvages, naturels et sa proximité immédiate de la mer, est un stimulant fort de créativité. C’est une ville avec une forte identité et qui ne laisse personne indifférent. Elle détient un fort pouvoir de séduction et par ses éléments climatiques forts – l’eau, le vent, le soleil- elle nourrit un imaginaire puissant et permanent.
Manon : Marseille est une ville vibrante, unique et pleine d’énergie. C’est un lieu où tout semble possible. Son mélange de cultures, sa lumière, son atmosphère en font une source inépuisable d’inspiration.
