DES TISSUS ANCIENS MÉTAMORPHOSÉS EN OEUVRES D’ART SOUS DES DOIGTS MINUTIEUX. RENCONTRE HORS DU TEMPS AVEC LE RELIGIEUX ET ARTISTE SIDIVAL FILA.
Dans son atelier dominant la Rome antique et le forum, Sidival Fila coud patiemment à la main, dans la tradition monastique du travail manuel.
Le religieux et artiste d’origine brésilienne travaille dans la discrétion au sein du couvent des Frères franciscains de Bonaventure sur la colline du Palatin.
Il crée des œuvres de grande intensité et de rigueur formelle, toutes réalisées à partir de matériaux de récupération pauvres ou bien obsolètes : papier, bois, vieilles toiles et tissus mis au rebut, issus d’habits liturgiques ou autres.
Brut ou teint, chaque tissu est animé de plis assez larges et parallèles, que l’artiste va ensuite coudre entre eux, d’un seul fil régulièrement piqué dans la toile avec une régularité quasi mathématique.
Sidival apporte renaissance à ces tissus anciens, les reliant par des fils et crée des tableaux merveilleux avec une forte spiritualité.
Rencontre avec un amoureux du détail au geste créatif unique et au style résolument intemporel quasi mystique.
Quel est votre processus créatif ?
“Lorsque je commence un projet artistique, j’ai généralement une idée générale, mais je me laisse beaucoup guider par le matériel que j’ai sous les yeux. À mon avis, la partie la plus difficile d’un processus créatif est d’avoir la bonne relation avec le matériau que l’on trouve et, d’une certaine manière, de savoir comment le respecter, comment ne pas le violer et comment le faire s’exprimer de la manière la plus appropriée, la plus belle et la plus réussie.
Quel est votre rapport au temps dans la réalisation de vos oeuvres ?
“Ce qui est important, c’est d’avoir cette liberté intérieure dans le travail, car le temps peut parfois être un tyran.
Mon travail serait très compliqué, presque impossible si j’étais pressé. Parmi mes œuvres, il y en a pour lesquelles je peux prendre quelques jours, alors que d’autres prennent plusieurs mois. Mais il faut beaucoup de patience, car c’est un processus qui peut parfois être très lent. Et c’est nécessaire, surtout pour nous, pour l’homme contemporain, qui est habitué à tout, tout de suite, une photo, un cliché, envoyer un e-mail, un appel téléphonique, être en contact avec le monde en une fraction de seconde.”
Où puisez-vous votre inspiration ?
“Je vis dans un endroit très beau, au sommet de la colline du Palatin, face au Colisée, entouré de siècles d’histoire et d’art. Et les gens me demandent souvent si cela m’inspire. Je parle plus d’éducation que d’inspiration.
En d’autres termes, je crois que le fait de regarder des choses qui nous sont extérieures peut nous éduquer à la beauté. Je me sens donc plus éduqué qu’inspiré par les choses que je vois.”
Quelle relation avez-vous avec la matière ?
“D’un autre côté, l’inspiration vient parfois du matériau lui-même.
Lorsque je me trouve devant un tissu ou un objet qui a sa propre expérience, sa propre histoire, sa propre beauté, je me sens inspiré pour mettre cet objet ou ce tissu en état de raconter son histoire.”
Où récupérez-vous la matière pour réaliser vos oeuvres ?
“Il s’agit souvent de tissus obsolètes, qui n’ont pas été utilisés depuis de nombreuses années, qui ont perdu leur fonctionnalité, qui sont très abîmés. De vieux tissus, datant parfois du 15e, 16e, 17e siècle, qui ne savent pas qu’ils racontent leur propre histoire.
En partant de cette limitation de ce matériau obsolète ou inutile, j’essaie de lui faire raconter son histoire. Mais mon idée de base n’est pas tant celle de la réutilisation que celle de la rédemption.”
Comment concilier cette dimension du religieux, du moine – qui, au moins d’une certaine manière, est une vie perçue par beaucoup comme rigide – avec une activité aussi libre que l’art ?
“Je crois que cette unité intérieure entre ces deux identités est le résultat d’une recherche d’équilibre qui n’est pas toujours facile, mais lentement, après quelques années de pratique à la fois de la vie franciscaine, de la vie religieuse et de la vie artistique depuis environ 18 ans, j’ai trouvé mon propre équilibre, dans lequel je suis capable de donner l’espace adéquat à la dimension religieuse et à celle de la création artistique.”