« Comme en architecture, c’est par la matière que je conçois l’espace, qu’il soit réel et tridimensionnel, ou imaginaire et transposé à plat. »
Margaux Desombre est une artiste française pluri- disciplinaire formée à l’architecture, au design et à la peinture. Ses toiles conjuguent la rigueur architecturale et la vibration colorée de l’huile, son médium de prédilection. L’artiste saisit l’instant et nous invite au voyage et à la réflexion.
Déposée par effets de tâches ou en aplats, Margaux pousse la couleur à son maximum d’intensité par des pigments denses. Sa palette de couleurs est éclatante.
Entre figuration et abstraction, ses peintures affirment un lien étroit avec la ville et la spatialité. Par des compositions architecturales, un chromatisme subtil et des couleurs pures, l’artiste recherche l’intensité de l’expression et suscite notre émotion. Ses œuvres, qu’elles soient picturales ou architecturales naviguent autour de l’espace, la couleur et la matière. Une touche irradiante qui captive notre regard.
Rencontre avec l’artiste peintre un an après son exposition romaine Orizzonte Blu chez LdG Art & Patrimoine.
Votre style en quelques mots ?
« L’idée du style ne me parle pas vraiment. Je trouve que cela enferme l’artiste, comme s’il devait nécessairement avoir une écriture à laquelle se tenir. La peinture est pour moi un lieu de liberté totale. Mon travail pictural évolue souvent, il suit mes sentiments du moment, répond à une relation avec la toile qui change suivant mon humeur. Expérimenter, tenter d’autres gestes, varier les médiums, sont des nécessités fondamentales à ma pratique. »
Votre rapport à la peinture ?
« Je note que plus le temps passe plus le rapport que j’entretiens avec la toile est corporel : je peins parfois debout, rarement assise, plus régulièrement au sol, et de plus en plus en tournant autour du châssis. Avant, j’avais tendance à peindre le nez presque collé à la toile. Lâcher prise en étant moins dans la maîtrise du geste est un véritable exercice pour moi. Suivant le lieu de la production, le « style » de ma peinture varie également. Je pense par exemple aux deux toiles que j’ai réalisées dernièrement en résidence dans le Luberon chez Enamoura. Je ne pouvais pas peindre à l’intérieur : cela m’a obligée à peindre dehors, la toile posée à même la roche. La matérialité de la peinture sur cette pièce est différente de ce que l’on a l’habitude de voir dans mon travail. Le geste est plus ample car les outils n’étaient pas ceux avec lesquels je travaille habituellement. »
Vos envies créatives du moment ?
« Il y a peu, un ami m’a récité le Bateau ivre d’Arthur Rimbaud. Le soir en me couchant je l’ai relu et l’ai récité à voix haute plusieurs fois, tout en luttant contre le sommeil. Je me suis littéralement endormie avec cette centaine d’alexandrins. J’ai fait des rêves de peinture très forts : j’ai une très grande envie de peindre en ce moment : j’ai changé d’atelier, et tout est resté dans les cartons assez longtemps. C’est une nécessité : un peu comme quand on a faim ! Vous voyez ? J’aimerais également travailler d’autres supports comme le verre ou les tissus et concevoir plus de travaux en volumes, ainsi que collaborer avec des auteurs, poètes ou écrivains… »
Où puisez-vous vos inspirations ?
« Ma réponse est assez banale … Je peins ce que je vois, ce que
je vis et surtout ce que je ressens. Ma pratique est avant tout intime et personnelle, bien qu’elle traite de sujets plus universels, elle mêle mon quotidien, des événements passés ou des projections mentales diffuses. J’ai par exemple peint les lieux de mon enfance, le souvenir étiolé d’une nuit sur l’île d’Hoëdic, des paysages architecturés plus ou moins imaginaires, mais aussi des bribes d’images que j’ai en tête et qui pour une raison ou une autre sont restées imprimées. »
Comment décririez-vous votre processus créatif ?
« Quand je peins, j’ai rarement une idée établie et nette en tête.
C’est toujours assez fuyant, disons que si je réfléchis trop, si je « construis » préalablement ce que je vais peindre, cela ne fonctionne pas. Tiens j’y pense ! La seule peinture me semble-t-il pour laquelle j’ai réellement « pensé » le sujet, le cadrage, les valeurs et la composition en amont pendant de nombreuses journées, c’est Aedes Castoris / Le Cagnard, qui était exposée à Rome chez LdG Art & Patrimoine en juin 2021. Je voulais faire rentrer plein d’idées dans cette peinture, y faire passer toute une histoire, et c’est vrai qu’elle m’a demandé un travail préalable auquel je ne suis pas habituée, peignant toujours de façon très impulsive. Peindre est le seul endroit où je tente de ne pas penser.»
Une gamme de couleurs qui vous inspire ?
« C’est la couleur en tant que lumière qui m’inspire. Je vais commencer à appliquer une teinte, elle va en appeler une autre. Je ne suis pas du tout musicienne mais j’imagine parfois que c’est un peu pareil, comme des notes que l’on joue dans un système où les éléments sont accordés, tenus par le rythme, se répondent ou contrastent. Pas nécessairement dans une harmonie, j’aime aussi les dissonances. La couleur est peut-être ce qui est centrale dans mon travail in fine. Depuis peu je dois avouer que c’est le jaune lumineux agrémenté de touches rapides de vert-bleu sombre qui remporte la médaille ! »
Un artiste, un créateur, un designer, qui vous donne des ailes ?
« … ceux qui m’entourent plus intimement depuis peu. »
Un courant artistique fétiche ?
« Je me régale littéralement devant la peinture. Je compare souvent cela à la gourmandise, à la nourriture, cela va vous paraître étrange mais quand une peinture me plaît j’ai presque envie de la manger, cela me fait autant saliver qu’un plat de udon ou un os à moelle !
Parmi les peintres qui me plaisent je peux citer Bonnard, Miriam Cahn, Joaquín Sorolla pour sa lumière et tout ce qu’il qui se dégage de ses scènes aquatiques et estivales, Claire Tabouret, les travaux récents d’Alex Foxton, ou encore les œuvres de Cecilia Hempton.
Alors que pendant longtemps je ne jurais que par les œuvres plus conceptuelles de Sol Lewitt ou Dan Flavin, par l’architecture moderniste, le Bauhaus et Annie Albers, j’ai aujourd’hui un réel plaisir à redécouvrir la peinture figurative. »
Pour vous l’Italie c’est… ?
« Faire le tour de l’église en courant une glace à la main vers l’âge de 9-10 ans, le Groupe Memphis, des autoroutes en travaux, Livio et Achille Castiglioni, et le guanciale ! C’est évidemment aussi tout ce qu’il a pu se faire de plus beau en termes de sculptures et de peintures baroques, comme l’enlèvement de Proserpine du Bernin. »
Quels sont vos projets à venir ?
« Actuellement je prépare plusieurs peintures pour un double appartement à Marseille, encore une fois il sera question du paysage, de la lumière de Marseille et de la relation entre le dehors et le dedans et de l’intime. Ensuite, j’ai très envie de trouver le temps de travailler avec des tissus et du bois, mais je ne sais pas encore comment cela va se traduire.
J’ai plusieurs projets en tête depuis ma résidence au musée Bernard Boesch : des peintures mobiles, sur des panneaux en volumes notamment. Je rêve d’avoir un petit espace atelier de menuiserie et soudure pour mener à bien ces expérimentations. En novembre, je présenterai certainement un corpus d’une quinzaine d’œuvres via le Cercle de l’Art. J’ai donc plein de projets, mais tout est ouvert ! J’ai surtout de la chance d’être bien entourée. »
Un film culte pour ses décors ?
« Alice dans les villes de Wim Wenders, peut-être parce que le décor est contemplatif en quelque sorte.
Le décor et les couleurs presque pop de La collectionneuse de Eric Rohmer : j’ai vraiment en tête ces couleurs et cette lumières irradiante du Var. C’est très pictural ! Je pense à la banquette au dossier en forme de vague, cette terrasse qui entoure la maison, la robe de chambre rouge, la salle de bain bleue avec le miroir qui reflète en triptyque le visage des personnages.
D’ailleurs la question est intéressante : quand on me demande quels sont mes films préférés j’éprouve de la difficulté à trouver une réponse. C’est toujours le décor et les couleurs qui me font aimer un film ou un roman, rarement l’histoire ou l’intrigue. J’essaye de faire l’effort d’être attentive au propos, mais c’est ce que va m’évoquer le film dans sa plasticité qui prend toujours le dessus. »
La dernière adresse qui vous a bluffée ou que vous aimeriez découvrir ?
« Le jardin d’une amie à la frontière entre l’Yonne et le Loiret. J’y ai été presque décontenancée par la végétation que j’ai trouvée d’une grande beauté.
J’aimerais aussi découvrir le Japon, l’Écosse, j’ai envie de nature ces temps-ci, plus que de monuments ou de bâtiments. »
INFORMATIONS PRATIQUES
Crédits © 2022 texte – Caroline Duperray
LdG Art & Patrimoine